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Haute couture : à Paris, la danse de l’élégance

Cette saison, elle était en avance. La fashion week haute couture automne-hiver 2024-2025 s’est tenue à Paris du 24 au 27 juin, une semaine plus tôt que de coutume, les infrastructures prévues pour les Jeux olympiques et paralympiques compliquant singulièrement l’organisation des défilés. Quelques marques ont dû renoncer à leurs lieux habituels : le Grand Palais pour Chanel ou le Petit Palais pour Schiaparelli… Certaines, comme Fendi, ont annoncé bien en amont qu’elles feraient l’économie d’un défilé, d’autres (Gaurav Gupta, Sara Chraibi) ont annulé quelques jours avant la date prévue. Mais pour les maisons chez qui la haute couture est moins une pause récréative qu’une réalité économique, pas question de faire l’impasse !
Schiaparelli tente de se positionner sur le prêt-à-porter, avec un succès mitigé. La griffe reste associée à la haute couture depuis l’arrivée du talentueux Daniel Roseberry en 2019, qui a réveillé la maison à coups de collections glamour et conceptuelles. Cette saison, il fait preuve de moins d’humour que d’habitude dans ses tenues théâtrales, présentées dans les sous-sols de l’hôtel Salomon de Rothschild. L’espace, entièrement noir, est agrémenté de lustres imposants et d’une moquette épaisse qui rappellent l’époque où l’on présentait la couture dans les salons des maisons.
Les tenues sont au diapason : une robe au bustier en maille transparente et jupe en satin à gros nœud, une robe-corset constellée de strass et de paillettes brodées, une robe de bal en paillettes rehaussée d’une traîne en tulle monumentale… Comme la mode féminine d’un autre temps, elles contraignent celles qui les portent : les jambes sont entravées par l’étroitesse des jupes ou le volume des traînes, les tailles serrées par des corsets, les poitrines écrasées par des bustiers rigides. Daniel Roseberry, qui a baptisé cette collection bien exécutée mais grandiloquente « Le Phoenix », dit vouloir donner aux femmes « le pouvoir de renaître » à travers ses créations « libérées du marketing et du merchandising ». Il donne plutôt l’impression d’avoir perdu de sa capacité à regarder cette ancienne discipline avec un œil neuf.
Chez Dior, Maria Grazia Chiuri suit un rythme de production intense : c’est la seizième collection haute couture qu’elle signe pour la maison, et son cinquième défilé depuis le début de l’année. Comme on le constate au défilé en observant les clientes toutes de Dior vêtues, la créatrice italienne est la garante d’une stabilité stylistique, un statut rare en ces temps où les designers restent en poste de moins en moins longtemps.
Pour cette collection, son esthétique péplum est passée à travers le tamis sportif − une combinaison évoquant la collection croisière 2022 présentée au Stade panathénaïque, dans la capitale grecque. « J’ai découvert récemment la sportive Alice Milliat, qui a organisé les premiers Jeux olympiques féminins à Paris en 1922, explique la designer. Cela m’a donné l’idée de me replonger dans les années 1920, cette époque où la garde-robe féminine commence à se libérer des corsets, à devenir compatible avec une vie en mouvement. C’est aussi le moment où l’on industrialise le jersey, qui permet de créer des vêtements adaptés à la pratique du sport. »
Tous ces éléments cohabitent harmonieusement. La dimension sportive − symbolisée par des tuniques ou des débardeurs en maille extensible − vient moderniser les silhouettes de divinités grecques, avec de longues robes plissées, des capes virevoltantes, des drapés opulents dans une palette restreinte de noir, blanc, or, argent et bronze. Un débardeur marcel irisé émerge d’une robe de vestale, tandis qu’un tailleur blanc moiré est dynamisé par un voile noué à la taille qui se balance au rythme des pas. Une collection aussi belle qu’efficace, preuve qu’il n’est pas toujours nécessaire de surprendre pour tomber juste.
De son côté, Chanel a annoncé, fin mai, un chiffre d’affaires record de plus de 18 milliards d’euros pour 2023, et la haute couture n’y est pas pour rien. Pourtant, l’heure est au changement : Virginie Viard, qui était arrivée en 1987 et avait succédé à Karl Lagerfeld à la direction artistique en 2019, a quitté brutalement la maison le 6 juin, dans un climat tendu avec la direction. La collection haute couture a été terminée par le studio de création − le seul à être crédité dans le communiqué de presse, alors que l’influence de la créatrice, qui revisitait de fond en comble les codes historiques légués par Gabrielle Chanel et Karl Lagerfeld, se ressent dans les vêtements.
Cette fois-ci, le défilé a lieu à l’Opéra de Paris, dont Chanel est mécène, et qui constitue le fil conducteur de la proposition stylistique. L’ensemble est opulent, à grand renfort de plumes, pampilles, cabochons, galons précieux, nœuds en strass et pierres brodées sur des tailleurs en tweed aux fils argentés ou dorés : cela brille comme une malle aux trésors. Le velours soyeux sert à couper des smokings aux boutons bijoux, tandis que le taffetas et le satin duchesse sont utilisés pour créer des costumes de Pierrot lunaire, avec des blouses à plastron brodé et à manches bouffantes, des capes à bords volantés ; un peu plus loin, on croise de volumineux tutus…
Chanel possède sans doute les ateliers les plus performants et fournis (150 personnes) de Paris, mais ce qui lui manque aujourd’hui, c’est un peu de distance par rapport à son héritage. Peut-être que le prochain directeur artistique, qui ne devrait pas être annoncé avant plusieurs mois, pourra apporter un recul salutaire et des idées neuves.
Régulièrement repérée sur les tapis rouges, la ligne Giorgio Armani Privé dispose également d’une clientèle fidèle. Ici, tout est luxe et raffinement. Cette saison, Giorgio Armani, qui fêtera ses 90 ans en juillet, a choisi les perles comme fil rouge. Et, toujours, les couleurs champagne ou argent, et le noir. Se succèdent ainsi sur le podium des silhouettes longilignes dans des ensembles composés d’une veste longue aux ourlets piqués de perles et d’un pantalon fluide en satin doré ; d’une veste en velours noir aux boutons en perle nacrée et d’un pantalon en Lurex transparent ; ou encore d’un corset doré recouvert de pierres et de perles et d’un pantalon en velours noir à la taille haute.
La transparence se niche dans la dentelle d’une robe longue ou sur le tulle en plastron d’une autre. Les robes dorées, entièrement brodées de perles, évoquent quant à elles la silhouette des Années folles, impression renforcée par la musique charleston. Une collection sans surprise et dans la pure tradition armaniesque.
Chez Jean Paul Gaultier, l’économie de la marque repose en grande partie sur les parfums. Le prêt-à-porter n’ayant quasiment plus d’existence, c’est à la haute couture de nourrir l’image de la maison. Pour ce faire, le fondateur de la maison, retiré des podiums depuis 2020, invite chaque saison un créateur à réinterpréter ses archives. Après Olivier Rousteing ou Julien Dossena, c’est au tour de Nicolas Di Felice, directeur artistique de Courrèges, de se prêter à l’exercice. Pour le Belge de 40 ans, il s’agit d’une première incursion dans la haute couture.
« Jean-Paul racontait toujours des histoires avec ses collections. En me mettant au travail, j’ai réfléchi à ce que Gaultier signifiait pour moi quand j’étais plus jeune. Il a toujours été tellement inclusif dans sa mode… J’ai pensé au fait de venir à Paris pour être enfin qui l’on veut », explique Di Felice. Sa vision de la Parisienne vue par le prisme Gaultier est élégante et féminine, avec ses longues robes en organza ou en gazar, dans des tonalités de bleu nuit, de blanc ou de noir.
Tout part du corset, pièce emblématique de la marque, mais avec un supplément de modernité. La taille est sanglée et, ici, un drapé de jersey s’échappe des attaches du corset pour recouvrir une épaule ; là, un pan de satin épouse la forme des hanches… Cette célébration réussie du corset redonne au passage un coup de jeune au parfum star de la maison, Classique, représenté par une bouteille en forme de guêpière. Rescapée d’un autre temps, la haute couture n’est pas forcément hors-sol pour autant.
Elvire von Bardeleben et Maud Gabrielson
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