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« Agrophilosophie », de Gaspard Koenig : la chronique « philosophie » de Roger-Pol Droit

« Agrophilosophie. Réconcilier nature et liberté », de Gaspard Koenig, L’Observatoire, 334 p., 23 €, numérique 16 €.
Les philosophes sont gens des villes. Peut-être ne l’a-t-on pas assez souligné. D’Athènes et Rome jusqu’à Berlin et Boston, ils fréquentent les amphithéâtres plus que les potagers, parlent du pouvoir et pas des vergers, se préoccupent abondamment des savoirs mais pas de la pousse des ­haricots. En tout cas, au premier regard. Car, en cherchant bien, on trouvera quand même un archipel de remarques, d’anecdotes et d’analyses qui permettent d’élaborer une face rurale de la pensée. Cette série de pistes pourrait permettre de penser autrement l’agriculture, les rapports de l’action humaine et de la nature, bref d’esquisser une « agrophilosophie ».
C’est le titre du nouvel essai de Gaspard Kœnig, philosophe, romancier, journaliste mais aussi trublion politique, auteur déjà d’une quinzaine d’essais, récits et romans. Esprit libre, plume alerte, ce normalien agrégé en rupture d’académisme est ami des paradoxes : passionné par la pensée libérale, il ferraille contre le néolibéralisme, attentif à la complexité du monde, il milite pour la simplification des règles. Avec l’agrophilo­sophie, il cherche aujour­d’hui de nouveaux chemins pour réconcilier liberté d’entreprendre et respect de l’environnement, progrès et décroissance, écologie et humanisme. Rien de moins.
Rien d’ennuyeux, non plus. Le périple est allègre, parce que l’auteur a de l’humour, le sens du concret et le goût du vécu. Sa traversée de l’Europe à cheval, sur les pas de Montaigne (Notre va­gabonde liberté, L’Observatoire, 2021), a changé son regard sur ­notre époque. Il a décidé de vivre en Normandie et de cultiver son jardin, au sens propre. Le livre se nourrit donc, avec un zeste d’autodérision, des impressions, découvertes et déconvenues d’un intellectuel devenu un de ces néoruraux qui peuplent désormais nos campagnes. Se qualifiant lui-même d’« écolo-bobo », Kœnig prend appui sur son microdomaine pour aborder des questions planétaires.
Ce pourrait être pédant, arrogant, dogmatique. C’est plaisant, ouvert à la discussion et, dans l’ensemble, habilement ficelé. Car Kœnig tresse avec talent les anecdotes de sa petite maison dans la prairie, les fragments d’œuvres philosophiques consacrés à l’agriculture et ses propres analyses et propositions. Ainsi les pommes de John Locke lui servent-elles à réfléchir sur la nécessité de repenser la propriété sans pour autant l’abolir, les haricots de Thoreau à définir une « demi-culture » où l’activité humaine intervient dans les cycles naturels sans les saccager. La forêt vue par Kant lui permet de concevoir une planète en paix, où les singularités de chaque peuple seraient préservées. Entre autres…
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